Introduction : Entre commodité et surveillance
Nous vivons une époque de progrès technologique sans précédent. La numérisation touche tous les aspects de notre vie : nos relations, notre travail, nos achats — et bien sûr, notre argent. Dans ce contexte émergent, l’essor de la monnaie numérique — monnaies virtuelles, paiements sans espèces, cryptomonnaies et monnaies numériques de banque centrale (MNBC) — soulève des questions profondes, non seulement économiques mais aussi spirituelles. Que signifie ce changement pour notre liberté ? N’est-ce qu’un outil de modernité parmi d’autres, ou fait-il partie d’une réorganisation globale qui menace la dignité humaine et la liberté spirituelle ?
En tant que catholiques, nous sommes appelés à discerner. Et le discernement commence non par la peur, mais par la Vérité. Jésus a dit : « La vérité vous rendra libres » (Jean 8, 32). Dans cet article, nous allons explorer, sous un angle théologique et pastoral, ce qui se passe dans le monde financier global, pourquoi cela est pertinent pour notre foi, et comment nous pouvons nous y préparer — spirituellement et pratiquement — à ces changements.
1. Une brève histoire de l’argent : des pièces aux algorithmes
Depuis l’Antiquité, l’argent est un outil d’échange et une manière d’exprimer la valeur. L’or, le sel, le bétail, les pièces en métaux précieux, la monnaie papier, et plus récemment les cartes et les applications ont été diverses formes de représentation d’une chose qui, en elle-même, n’a pas de valeur : la confiance. Car au fond, l’argent fonctionne dans la mesure où nous avons confiance qu’il sera accepté par les autres.
Le XXe siècle a connu un changement radical avec la création des banques centrales et l’abandon de l’étalon-or. L’argent n’était plus garanti par des biens tangibles mais par la promesse de l’État. Aujourd’hui, avec l’essor de la monnaie numérique et des cryptomonnaies, nous faisons un pas de plus : l’argent devient un code, une donnée, quelque chose d’intangible qui peut être surveillé, conditionné ou même bloqué d’un simple clic.
Ce nouveau modèle — où tout est enregistré, suivi et centralisé — ouvre la porte à de nouvelles formes de contrôle. Ce qui relevait autrefois de la souveraineté nationale peut désormais alimenter un système financier global interconnecté, qui n’est pas toujours aligné avec les principes de justice ou de subsidiarité.
2. Qu’est-ce que la monnaie numérique ? Et pourquoi devrions-nous nous en préoccuper ?
Le terme « monnaie numérique » peut désigner plusieurs réalités :
- Les MNBC (monnaies numériques de banques centrales) : une version électronique de la monnaie officielle, directement contrôlée par les gouvernements ou les banques centrales. Elles sont déjà mises en œuvre dans des pays comme la Chine et le Brésil, et à l’étude dans l’Union européenne.
- Les cryptomonnaies : des actifs décentralisés comme le Bitcoin ou l’Ethereum, qui, du moins en théorie, fonctionnent hors du contrôle étatique.
- Les plateformes de paiement comme PayPal, Apple Pay, Bizum, etc., qui éliminent le cash et recueillent des données sur nos achats.
À première vue, tout cela peut sembler une évolution naturelle de la technologie. Quel mal y a-t-il à se débarrasser des billets ? N’est-ce pas plus pratique, plus rapide, plus sûr ?
Le problème, comme toujours, ne réside pas dans l’objet en lui-même, mais dans son usage. Entre les mains de gouvernements autoritaires ou d’institutions animées par une idéologie, la monnaie numérique peut devenir un outil de contrôle massif. Et c’est là que se pose la question : Allons-nous vers un système financier qui récompense la conformité idéologique et punit la dissidence ?
3. Fondements théologiques : que dit la doctrine catholique ?
L’Église ne s’oppose pas au progrès technologique. En réalité, elle le promeut lorsqu’il est au service de la personne humaine. Mais elle met en garde fermement lorsque ce progrès devient une idole ou menace la dignité et la liberté humaines.
Le Catéchisme de l’Église catholique (n° 1883) enseigne que le principe de subsidiarité interdit à une autorité supérieure de s’immiscer dans ce que des niveaux inférieurs peuvent résoudre. Si le contrôle de l’argent passe des citoyens à une entité centrale, puis de là à des organisations supranationales, ce principe fondamental de la doctrine sociale catholique est violé.
Saint Jean-Paul II, dans Centesimus Annus (1991), dénonçait « l’idolâtrie du marché » et appelait à un ordre économique juste, fondé sur la participation, la solidarité et le respect de la liberté. La centralisation excessive de la monnaie, sans mécanismes de liberté et de choix, peut engendrer un « nouveau totalitarisme financier ».
La Bible elle-même avertit souvent du pouvoir corrupteur de l’argent mal utilisé :
« Car la racine de tous les maux, c’est l’amour de l’argent ; et, dans leur désir de richesse, certains se sont égarés loin de la foi » (1 Timothée 6, 10).
4. Le Nouvel Ordre Mondial : théorie du complot ou tendance observable ?
Parler d’un « Nouvel Ordre Mondial » ne signifie pas nécessairement adhérer à une théorie du complot caché. Cela signifie parler d’une restructuration réelle et observable des structures de pouvoir politique, économique et social. L’ONU, le Forum économique mondial (WEF), la Banque mondiale et d’autres institutions promeuvent une transformation globale fondée sur la durabilité, l’inclusion numérique et la gouvernance planétaire.
Bon nombre de ces propositions ont des aspects positifs. Mais lorsque Dieu est exclu, ou lorsqu’une éthique relativiste est imposée, ce qui commence comme un progrès peut se transformer en domination. Un système de crédit social basé sur le comportement financier, comme testé dans certaines régions, peut sembler dystopique — mais il est déjà en cours de mise en œuvre.
En tant que chrétiens, nous ne pouvons pas ignorer cela. Nous sommes appelés à être « prudents comme les serpents et simples comme les colombes » (Matthieu 10, 16). Le discernement ne consiste pas à avoir peur, mais à regarder ce que propose le monde à la lumière de la foi et à se demander : « Cela promeut-il la vérité, la liberté et la dignité de l’être humain créé à l’image de Dieu ? »
5. Guide pratique théologique et pastoral : comment vivre cette réalité avec foi et sagesse
1. Maintenir une vie spirituelle solide
Sans prière, il n’y a pas de discernement. Lisez l’Évangile, priez le Rosaire, participez à l’Eucharistie, restez en état de grâce. Une âme unie à Dieu ne craint pas l’avenir.
2. Former votre conscience et celle de votre famille
Parlez à vos enfants et amis de la signification de la liberté, de la responsabilité et de l’usage éthique de l’argent. Apprenez-leur à ne pas idolâtrer la commodité ni dépendre aveuglément de la technologie.
3. Diversifier la gestion de vos finances
Ne placez pas toute votre confiance dans les systèmes numériques. Si possible, gardez une partie de vos économies hors du système centralisé. Apprenez à utiliser des alternatives : monnaies locales, troc, coopératives solidaires, etc.
4. Soutenir les initiatives locales et solidaires
L’économie de communion, les projets éthiques et les petites entreprises familiales sont des signes du Royaume. Renforcez ce qui est petit, local et humain.
5. Participer à la vie politique et sociale avec des critères chrétiens
Le silence est une complicité. Informez-vous, votez avec une conscience éclairée, dénoncez les abus. Soyez le sel et la lumière dans votre communauté.
6. Éviter à la fois la peur et la naïveté
Ni paranoïa ni passivité. L’équilibre chrétien réside dans une confiance active. Jésus a promis : « Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu » (Luc 21, 18), mais Il nous a aussi appelés à « veiller » (Marc 13, 33).
6. Conclusion : Le Royaume de Dieu n’est pas de ce monde… Mais il se construit ici
Allons-nous vers un Nouvel Ordre Mondial ? Peut-être. Pourrait-il devenir une forme d’esclavage moderne ? C’est possible. Mais c’est aussi une occasion de renouveler notre confiance en la Providence et de redécouvrir la valeur de la communauté, de l’austérité et de la liberté chrétienne.
Ne plaçons pas notre espérance dans la monnaie — numérique ou autre. Notre espérance est dans le Christ, qui a vaincu le monde. Que l’argent soit un outil, non une idole. Que la technologie serve la charité, non le contrôle. Et que vous et moi, dans notre vie quotidienne, vivions libres dans la vérité, sachant que :
« Nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons celle de l’avenir » (Hébreux 13, 14).
Prière pour le discernement financier :
Seigneur,
Toi qui as multiplié les pains, apprends-moi à bien utiliser ce que Tu me donnes.
Ne permets pas que je devienne esclave de l’argent ou du pouvoir.
Donne-moi un regard clair pour discerner, des mains généreuses pour partager,
et un cœur libre pour Te suivre par-dessus tout.
Amen.